LETTRE À NAPOLÉON

EXTRAIT D'UNE LETTRE À L'EMPEREUR NAPOLÉON,

SOUVERAIN DE L'ILE D'ELBE, SUR LE PLUS IMPORTANT

.DE TOUS LES SUJETS.

Sire, il serait cruel de ma part d'évoquer ce qu'il y a de profondément douloureux dans votre condition, si je ne pouvais vous indiquer une source de consolations qui n'a jamais manqué d'apporter du soulagement dans les plus profondes afflictions. Vous avez perdu le monde, et vous devez être malheureux et désappointé. Je vous montre le chemin pour atteindre, dans le monde à venir, une gloire à laquelle aucune gloire terrestre ne saurait être comparée.

Toute voie est coupée à votre ambition ici-bas, mais j'ouvre devant vous un champ de gloire illimité. Si vous y entrez, vous pourrez abaisser un regard de pitié sur vos anciens compétiteurs, et mépriser les buts pour lesquels vous avez si ardemment combattu.

En vous écrivant sur ce sujet, je ne sais si je dois vous considérer comme croyant, ou non, à la révélation de Dieu. On vous a toujours représenté comme un athée ¹. En réalité, l'Évangile peut gagner un athée, aussi bien qu'un dévot. Bien que toute votre vie, vous ayez fait de l'opposition au christianisme, je vous adresse la vérité qui sauve avec la même confiance que si vous aviez été un moine, ou un « pilier d'église. » Les saintes Écritures commandent l'assentiment par leur évidence; aucune créature intelligente n'est donc excusable de les rejeter.

Les hommes les haïssent, ainsi que le Dieu qu'elles révèlent, parce que leurs œuvres sont mauvaises. Ils ne viennent pas à la lumière, de peur que leurs œuvres soient manifestées. Il est d'une évidence aussi convaincante que les saintes Écritures sont la Parole de DIEU, qu'il l'est que les cieux et la terre sont l'œuvre de ses mains. Les hommes vains peuvent le nier, mais ils sont influencés par un principe autre que l'amour de la vérité. Leur opinion sera un monument de l'humaine folie durant l'éternité.

Sire, la substance des Écritures se trouve dans chacune des nombreuses déclarations qui proclament la bonne nouvelle touchant Jésus Christ. La propitiation par sa mort est le centre de la révélation où elles convergent toutes. Le chemin du ciel est par la foi en l'efficacité de son sang. Tous les hommes sont déclarés coupables et tous sont sous le jugement.

La bonne nouvelle proclamée dans l'Évangile, est que Dieu a envoyé son Fils dans le monde prendre notre nature, afin de faire propitiation pour les péchés des hommes ; pour que tous ceux qui croient en Jésus soient sauvés. Ce plan de salut satisfait la justice de Dieu, car les péchés sont expiés jusqu'au dernier, par Celui qui a été le substitut du pécheur. Ce plan glorifie la grâce de Dieu : il annonce le pardon, par la foi en la valeur du sang de Christ, au premier des pécheurs. Il proclame la souveraineté de Dieu, et sa libre faveur envers l'homme coupable, car les pécheurs ont part à la propitiation, simplement en croyant le témoignage que Dieu rend à cette œuvre. « Vous êtes sauvés par grâce », dit l'apôtre, « par la foi, et cela ne vient pas de vous; c'est le don de Dieu » (Éphésiens 2;8).

Ce qui prouve clairement que ce plan du salut n'a pas été conçu par la sagesse humaine, c'est qu'il apparaît à celle-ci comme une folie: « La parole de la croix est folie pour ceux qui périssent » (1 Corinthiens 1;18). « Or l'homme animal ne reçoit pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu, car elles lui sont folie ; et il ne peut les connaître parce qu'elles se discernent spirituellement » (1 Corinthiens 2;14).

Ces déclarations de l'Écriture sont vérifiées par l'observation. Le christianisme, pendant des siècles, a été reçu comme la religion de plusieurs nations; néanmoins les hommes sont si opposés au simple exposé qui en est donné dans les Écritures, qu'ils en ont altéré le contenu, dans chaque pays où il est reçu, le modelant à leurs goûts particuliers. Au lieu de faire consister le salut en la foi au sacrifice de Christ, le christianisme a été transformé, par les uns en de stupides rites superstitieux, par d'autres, en des œuvres de justice morale.

Quoique presque tous les systèmes semblent tenir compte de la mort de Christ, chacun de ceux qui sont établis par la sagesse humaine, fait reposer le salut sur un fondement tout différent de celui qui a été posé par les apôtres.

Ceux mêmes qui se rapprochent le plus de l'Évangile, tout en employant souvent la phraséologie de l'Écriture, ne soutiennent pas fermement et constamment la propitiation comme la seule chose nécessaire pour justifier le pécheur devant Dieu. Quand ils s'appuient sur la foi, la foi est quelque chose d'autre que le simple fait de croire en l'Évangile.

Bien plus, si forte est l'opposition entre la sagesse de Dieu et la sagesse de l'homme, que beaucoup qui sont en quelque mesure enseignés de Dieu; acceptent que la sagesse humaine influe sur leurs explications de l'évangile de Christ.

Sire, lisez les Écritures; je fais appel à la franchise de votre majesté pour déterminer s'il peut y avoir un seul doute que le salut est promis à tous ceux qui croient en Jésus ou qui reçoivent l'Évangile.

« Allez », dit Jésus, « dans tout le monde et prêchez l'Évangile à toute la Création. Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé, et celui qui n'aura pas cru sera condamné » (Marc 16;16).

Comparez les nombreux passages qui parlent de ce sujet, et, quels que soient vos sentiments sur les Écritures, vous ne pourrez que vous convaincre que ce qu'elles enseignent, c'est que la seule chose nécessaire pour rendre un pécheur juste devant Dieu, est la foi en l’œuvre expiatoire faite par son Fils.

Maintenant, Sire, si tel est le témoignage de l'Écriture sainte, et s'il est tellement contraire à l'humaine sagesse, que tous les hommes sages de ce monde, quand ils ont reçu l'Évangile, l'ont altéré au point de lui faire parler un langage différent, n'est-ce pas la parfaite évidence que les saintes Écritures ne peuvent pas être une invention humaine ?

Elles ont été appelées une invention des ruses des prêtres; mais j'affirme sans restriction, que celui qui ose parler ainsi ne sait ni ce que sont les Écritures, ni ce qu'est la nature humaine. Je maintiens, en face de tous les philosophes du monde, que les saintes Écritures doivent être de Dieu, parce qu'elles n'auraient pas pu être inventées par l'homme.

Demandez aux diverses sectes ce que c'est que le christianisme; comparez leurs réponses aux déclarations des apôtres, et le résultat vous apportera la preuve évidente que l'Évangile n'est pas une invention humaine.

Le glorieux plan de pardonner le pécheur sans innocenter le coupable, n'était jamais monté au cœur de l'homme. C'est la déclaration du prophète Ésaïe et de l'apôtre Paul: « Ce que l’œil n'a pas vu et que l'oreille n'a pas entendu, et qui n'est pas monté au cœur de l'homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment » (Ésaïe 64;4; 1 Corinthiens 2;9). Comment la sagesse humaine aurait-elle pu inventer l'Évangile ? Elle aurait plus aisément inventé le plan du système solaire. Les prêtres inventant l'Évangile ? A-t-on jamais vu que quelqu'un ait rendu un arrêt pour sa propre exécution ?

Depuis la première apparition de l'Évangile, on lui a objecté qu'il « n'est pas ami des bonnes œuvres. » Si les hommes sont sauvés par la foi au sacrifice de Christ, sans le secours de leur propre justice, il n'y a pas, dit-on, d'encouragement à la vertu, mais plutôt au péché. Et certes, si les hommes veulent abuser de la grâce pour pécher tout à leur aise, leur condamnation sera juste. L’Écriture nous dit, en effet, que « la grâce de Dieu qui apporte le salut est apparue à tous les hommes, nous enseignant que, reniant l'impiété et les convoitises mondaines, nous vivions dans le présent siècle, sobrement, et justement, et pieusement, attendant la bienheureuse espérance et l'apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus Christ, qui s'est donné lui-même pour nous, afin qu'il nous rachetât de toute iniquité et qu'il purifiât pour lui-même, un peuple acquis, zélé pour les bonnes œuvres» (Tite 2;11-14).

Bien que les œuvres de quelque espèce qu'elles soient, qui précèdent ou accompagnent la connaissance de la vérité, ne soient d'aucun effet pour l'acceptation du pécheur devant Dieu, nous sommes cependant maintes fois enseignés que ceux-là seuls qui portent le fruit de la justice, montrent qu'ils ont réellement compris et cru l'Évangile. « La colère de Dieu est révélée du ciel contre toute impiété et toute iniquité des hommes » (Romains 1;18), «tribulation et angoisse seront la part de toute âme d'homme qui fait le mal» (Romains 2;9).

Si vraiment vous êtes convaincu que les Écritures sont une révélation de Dieu, je puis déclarer à votre majesté qu'elle les a certainement mal comprises. La foi en l'Évangile est, de toute manière, en opposition avec la poursuite de la gloire du monde. Sans vous charger d'aucun crime particulier, soit pour arriver au pouvoir, soit pour assurer ou étendre votre empire, les buts que vous avez poursuivis ne vont pas avec la foi en l'Évangile. Si le pouvoir et la gloire de ce monde ont été vos objets, vous n'avez pas vu la gloire de Dieu qui brille sur la face de Jésus Christ.

Mais, Sire, quelle qu'ait été votre culpabilité, vous n'êtes pas pour cela exclu de l'espérance de la grâce, si vous vous confiez au nom du Fils de Dieu. Il est venu pour chercher ce qui était perdu, et pour sauver le « premier » des pécheurs.

L'apôtre Paul avait été manifestement un des plus grands persécuteurs des rachetés de Christ. Pendant qu'il était en chemin pour Damas, afin de remplir une mission sanguinaire contre les saints de Dieu, le Seigneur lui apparut et l'appela à son service. Parlant de lui-même, il dit: « Moi, qui auparavant étais un blasphémateur, et un persécuteur, et un outrageux ; mais miséricorde m'a été faite, parce que j'ai agi dans l'ignorance, dans l'incrédulité » (1 Timothée 1;13). Vous voyez, sire, cet homme qui avait trempé ses mains dans le sang des saints, sauvé par la foi en la valeur du sang de Christ ! Il n'avait, il est vrai, dévasté aucun pays, il n'avait pas renversé des trônes; cependant, par son opposition à la vérité, il avait montré une plus grande inimitié contre Dieu, qu'aucun des conquérants que le monde ait jamais connus. Le choix que Dieu fait de lui, comme monument de la grâce, assure les plus coupables d'entre les hommes qu'ils seront reçus de Dieu par la foi en l’œuvre du sang de Christ. Il a dit : «Miséricorde m'a été faite, à cause de ceci, afin qu'en moi le premier, Jésus Christ montrât toute sa patience, afin que je fusse un exemple de ceux qui viendront à croire en lui pour la vie éternelle » (1 Timothée 1;16).

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¹ Voici une pensée de Napoléon intéressante de citer ici :

« J'ai passionné les multitudes qui mouraient pour moi... mais il y fallait ma présence, l'électricité de mon regard, mon accent, une parole de moi; alors j'allumais le feu sacré dans les cœurs. Le Christ, Lui seul, est parvenu à élever le cœur des hommes jusqu'à l'invisible, jusqu'au sacrifice du temps et de l'espace. Lui seul demande à travers dix-huit siècles ce qui est le plus difficile d'obtenir, ce qu'un sage demande vainement à quelques amis, un père à ses enfants, une épouse à son époux, un frère à son frère, en un mot, le cœur. C'est là ce qu'Il veut pour Lui. Il l'exige absolument, et Il l'obtient tout de suite. Quel miracle!

À travers le temps et l'espace, l'âme humaine avec toutes ses facultés, devient une annexe de l'existence du Christ. Tous ceux qui croient sincèrement en Lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, phénomène inexplicable, Impossible aux forces de l'homme, feu sacré dont le temps, ce grand destructeur, ne peut ni user la force, ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage, parce que j’y ai souvent pensé. C'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ. »

(Mémoires de Ste-Hélène.)